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Le journal d'Isa-B

Textes et poésies. Vie intérieure et observations.

Marie

Saint Joseph charpentier, Georges de La Tour, 1643.

Marie habite une ferme dans un village de montagne. Elle a 83 ans, elle les porte bien. Maintenant c'est son fils qui s'occupe de l'exploitation transmise depuis des générations. Ils vivent ensemble.

Régulièrement je fais une petite visite à Marie pour voir comment elle va, l'examiner un peu, et lui renouveler son traitement. Elle n'est pas très malade Marie, le cœur fragile et les articulations usée jusqu'à l'os.

Octobre est là, et avec lui les premiers froids, les premiers poêles allumés.

Quand je frappe à la porte de Marie, au cœur de l'hiver, elle m'ouvre en disant: "Je vous attendais plus tard Docteur...j'ai pas encore allumé". Effectivement, quand je rentre il fait sombre et il fait froid, aussi froid que dehors, en plein hiver, en montagne.

Elle m' accueille dans sa grande salle à manger (ou plus personne ne mange) en veste de laine, pull, sous-pull, col roulé, tricot de peau, maillot de corps, le tout en multiples épaisseurs, mitaines aux mains, bonnet sur la tête, chaussettes de laine et charentaises aux pieds. Elle est équipée. Moi j'ai froid.

"Asseyez-vous Docteur, je vais allumer". Elle me montre une petite chaise en bois, assez basse, à trois pieds, près du poêle encore froid. Le poêle est placé dans l’âtre de la cheminée (qui ne sert plus de cheminée), et me voilà assise, presque accroupie, dans la pénombre et le froid, à attendre que Marie aille chercher son bois. Le temps, là, me parait assez long. En général je désespère un peu...mais parfois je trouve ça drôle.

Elle finit par revenir avec trois rondins et un vieux journal, et enfin elle allume. Elle s’assied en face moi, elle aussi dans l'âtre de la cheminée, sur un petit coffre en bois. Nous attendons silencieusement que les quelques m3 d'air autour du poêle atteignent une température permettant un échange détendu. La lumière a changé, il y a ce petit rougeoiement entre elle et moi.

Dans ce silence, dans cette pénombre, encadrées par la grande cheminée, face à face, nos quatre yeux vers les flammes naissantes: nous sommes pour quelques instants dans une peinture.

Elle me propose un café, "avec ce froid...". J'accepte volontiers. Elle repart. Et me voilà à nouveau seule, accroupie dans sa cheminée, près du poêle. Elle revient avec une toute petite tasse d'un café plusieurs fois réchauffé à la casserole. Ces vielles casseroles en alu. Il a un drôle de goût le café de Marie. A chaque fois elle m'explique qu'elle y met de la chicorée, comme sa mère. Moi j'y met du sucre, c'est meilleur.

L'hiver je n'examine pas Marie. Il fait trop froid pour soulever les plis des pulls. L'hiver je fais des consultations-hibernation. Nous restons calfeutrées dans nos pelures. Si Marie allume son poêle, si elle me propose un café, si on parle un peu de comment elle va, alors tout va bien. Je lui refais son ordonnance. Je lui réexplique bien son traitement car depuis quelques mois j'ai l'impression qu'elle se perd un peu, qu'elle oublie.... Je fais le chèque, elle le signe. Je passe sa carte vitale dans mon petit appareil. Nous convenons ensemble de la date de mon prochain passage, dans un mois ou deux, comme elle veut. L'hiver, elle préfère que je passe tous les mois. Je lui note la date dans un petit cahier dédié à cela. J'y note parfois des informations pour son fils: prise de sang à faire, date du prochain rendez-vous chez le cardiologue...Avant de partir elle m'offre deux bonbons que je mets dans ma poche, "pour la route".

Et je la laisse près de son poêle. En fin de matinée, elle fera la soupe. Son fils rentre manger.

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B
Un humanisme tout en douceur et respect , tant que le "Docteur" sera en visite tout ira pour Marie , nos vies avec l'âge s'accrochent à ces personnes qui se soucient de nous et c'est bien ainsi , bonne journée d'automne Isa
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I
Merci Betty