11 Septembre 2016
C'est un couloir étroit, droit et long
De dix mètres environ.
Tapissé à droite de vert d'eau vieilli
Encombré à gauche d'un vaste meuble blanc.
Bien en rang sur les étagères: les dossiers colorés
Vos vies médicales y sont consignées.
Nous marcherons ensemble, moi derrière, vous devant.
Je vous regarderai marcher, vous irez de l'avant.
Moi, la vue sur votre dos, votre face cachée, votre dessous des choses.
La porte du fond passée, il vous faudra parler
Vous déshabiller, peut-être, et vous laissez toucher.
Vous voilà...toujours pressée, vous marchez vite
Le pas décidé, vous n'avez pas l'air si malade.
Pourtant il y a dans l'air comme une urgence palpable.
Vous semblez aspirée vers le fond du couloir
Mais votre visage reste tourné vers moi.
D'un ton sec vous m'annoncez la couleur:
"ça ne va pas du tout Docteur!!"
Avec vous toujours un temps d’avance
C'est dans le couloir que la consultation commence.
D'autres par contre prennent tout leur temps.
Avec votre pas faussement nonchalant vous m'intriguez...
Drôle d'endroit pour goûter à la lenteur...
Est-ce pour me dire: "Vous ne m'impressionnez pas Docteur".
Les personnes âgées aussi prennent leur temps
A pas minuscules, dans vos bas et vos chaussures d’antan
Avec vos cannes, vos béquilles et vos déambulateurs
Vous avez l'air de me dire: "Soyez douce avec moi Docteur".
Il y a aussi tous ceux qui ont mal.
Vous passez devant moi en faisant la grimace
Avec un "Bonjour Docteur" simple et efficace.
Je vous vois boiter ou sauter à cloche pied
Vous tenir le dos, penché d'un côté.
Je vois votre bras qui a perdu son ballant
Ou qui a disparu, tenu bien serré devant.
Il y a quand vous êtes deux, ou bien trois, parfois quatre!!
Petite hésitation sur l'organisation...
Qui passe en deuxième ? Qui ferme la marche?
Véritable cordée que forme cette famille.
Qui sera le guide? Qu'aurons nous à gravir?
A trois contre un, je crains souvent le pire.
Il y a vous dont je connais bien les pas.
On se voit si souvent, au moins une fois par mois.
Avec les saisons qui passent votre allure ne change pas.
Vous êtes restée belle malgré les chagrins.
Vous avez de longs cheveux blancs et blonds
Vous en faites de longues nattes ou bien des chignons.
L'hiver cache votre nuque, l'été dévoile vos pieds.
Vous me surprenez rarement, sauf quand je ne m'y attends pas.
Comme pour me dire: "Docteur ne vous lassez pas de moi".
Il y a vous, que je vois pour la première fois.
Je découvre votre dos légèrement vouté
Large comme votre main que je viens de serrer.
Chemisette à rayures vaguement repassée
Pantalon de toile brune et odeur de fumée
Mince dossier à la main, pochette bleue plastifiée.
Qui êtes-vous? Qu'allez-vous me raconter?
J'ai le temps du couloir pour savourer le mystère.
Tout est encore possible.
Mais beaucoup de choses vont se jouer là
Au cours de cette première fois.
Il y a vous qui insistez pour me laisser l'honneur
De passer la première:" Je vous en prie Docteur".
(En roulant bien les R)
Mais je n'aime pas marcher devant vous.
J'ai toujours peur qu'avec ou sans délicatesse
Vous me regardiez les fesses.
Pourtant moi je les regarde vos fesses.
Dans ce long couloir, à mi-hauteur du corps
Elles font l'équilibre, elles sont le point d'orgue.
Des fesses d'enfants, de femmes et d'hommes
Des fesses à tout âge et en toutes saisons
Des sportives et des gourmandes
Au bout du couloir, la porte passée
C'est sur elle que vous vous assiérez
Chacun à votre façon.
Ça pourrait faire l'objet d'une autre chanson.
Alors arrêtons-nous là et commençons
Si vous le voulez bien la consultation.